Le 21 septembre 2024, le père Arturo Sosa, a vécu son pèlerinage à l’occasion du jubilé des 350 ans des apparitions.
Il a présidé l’eucharistie de la chapelle La Colombière. A cette occasion voici l’homélie qui fut dite à son intention : 

Avec la figure de l’apôtre Matthieu que nous fêtons aujourd’hui, nous pouvons mettre en évidence quelques aspects de la vie de notre bien-aimé compagnon Claude La Colombière, pour accompagner votre démarche de pèlerinage, cher père général, dans le cadre de cette année jubilaire.

Avant même d’entendre l’évangile, c’est déjà cet appel de Matthieu qui s’est manifesté dès notre entrée dans cette chapelle par l’un des tout premiers chapiteaux qui s’offre à notre regard. Jésus lui fait signe de la main à travers le guichet de ce service des impôts où Matthieu travaille. Matthieu se laisse mettre en mouvement en se redressant de sa table de travail. Mais nous constatons aussi la présence intrigante d’un tiroir-caisse sous la tablette où Jésus s’appuie. A ce tiroir-caisse, 2 clés sont visibles. La première, toute petite, commande l’ouverture du tiroir. La deuxième, accrochée au même trousseau pend dans le vide. Celle-ci est énorme. Elle ressemble à une autre clé que nous pouvons découvrir plus tard sur un autre chapiteau, celle qui sera remise à Pierre lors de sa confession de foi à Césaré. Ainsi avec son geste appelant de la main en direction de Matthieu, Jésus semble nous questionner, nous tous, qui entrons dans cette chapelle : où est le trésor de ton cœur ? Où places-tu ta confiance ?

Alors même qu’il a désiré et choisi très tôt d’être à Dieu « sans réserve », comme l’exprimait déjà la devise familiale, c’est bien l’expérience profonde que vivra notre frère Claude en découvrant les pièges de la mondanité et de ses vanités. En particulier lors de ses premiers apostolats pendant sa formation à Lyon et à Paris. Périodes où son éloquence suscitera foule d’admirateurs, au risque de le détourner de manière très subtile, de son attachement sans réserve pour le Seigneur. Son Troisième An l’aidera à en trouver l’antidote en deux temps…

Premièrement par l’expérience profonde de son état de pécheur, mais plus profondément encore de son état de pécheur pardonné. C’était au cœur de sa grande retraite de Troisième An, les fameux Exercices-Spirituels, âme de notre spiritualité. On trouve dans les notes spirituelles (1) de saint Claude ce qu’allait dire à son tour notre frère Jorge Bergoglio, peu de temps après son élection comme pape, pour se présenter, il y a tout juste 11 ans (2) :

« qui êtes vous, pape François ? » Et lui de répondre tout de go : « je suis un pécheur », et de continuer un peu plus loin, « ce doigt de Jésus… vers Matthieu. C’est comme cela que je suis, moi. […] Je suis pécheur, mais, par la miséricorde et l’infinie patience de Notre Seigneur Jésus Christ, je suis confiant et j’accepte en esprit de pénitence. »

C’est l’expérience de Claude La Colombière, au cœur d’une époque spirituelle marquée par la dureté, l’intransigeance et les dérives du jansénisme.

Deuxièmement, à la suite de cette expérience déterminante vécue dans le silence de sa grande retraite de Troisième An, Claude exprimera deux prières décisives pour la suite de sa vie, et que nous aimons bien ici à Paray : le renouvellement de son choix de Jésus comme son seul et Véritable Ami, et sa déclaration de confiance totale, radicale, absolue, en Jésus seul. Peu de temps après Jésus lui manifestera, à travers la médiation de sœur Marguerite-Marie Alacoque, qu’il est son véritable serviteur et parfait ami, et que son cœur est désormais uni au sien, ne fait plus qu’un avec Lui. (C’est la scène du tableau de la vision des trois cœurs que vous avez au dessus de la châsse de saint Claude). Claude répondra à ce don gracieux du Seigneur par la totale offrande de lui-même à son Sacré-Cœur par son acte de consécration qu’il réalisera peu de temps après la grande apparition de juin 1675

Alors que Matthieu, par sa réponse personnelle deviendra Apôtre et pourrait-on dire aujourd’hui, un des premiers disciples missionnaire de l’Eglise, Claude deviendra premier Apôtre explicite du Cœur de Jésus. Dans sa vie personnelle à travers son acte d’offrande et de consécration, dans sa vie apostolique par sa manière de prêcher, d’accompagner, de célébrer. Alors que Claude est à Londres, et vient d’être arrêter, un frère franciscain qu’il accompagnait dans le secret témoignera qu’il lui semblait entendre l’évangéliste saint Jean quand celui-ci lui parlait des choses de Dieu (3). Saint Jean l’unique évangéliste qui mentionne justement la présence mystérieuse d’un disciple bien-aimé reposant sur le cœur du Seigneur. Ce disciple bien-aimé, s’il n’a pas de nom dans l’évangile, c’est bien pour permettre à chacun de découvrir que c’est là que le Seigneur l’attend pour être avec lui, et cela quelque soient les circonstances, qu’elles soient consolantes ou bien désolantes.

C’est bien ce que vivra Claude, jusque dans la prison sombre et humide de Londres où la calomnie et la persécution anti-papiste le conduiront. Déjà, lors de son Troisième An, il s’était vu un jour, lors d’une fugace vision intérieure, couvert de chaines à cause de Jésus. C’est ce que nous rappelle le vitrail proche de l’Autel. Accomplissant par là ce que nous demandons au cœur des Exercices Spirituels, à partir de la contemplation de l’appel du roi éternel et qui s’exprime dans la contemplation des deux étendards :

« dans un colloque, je demanderai la grâce d’être reçu sous [l’] étendard [du Seigneur Jésus] : premièrement, par la parfaite pauvreté spirituelle, et même, si la divine Majesté la pour agréable, et veut me choisir et madmettre à cet état, par la pauvreté réelle ; secondement, en souffrant les opprobres et les injures, afin de limiter en cela plus parfaitement, pourvu que je puisse les souffrir sans péché de la part du prochain, et sans déplaisir de sa divine Majesté. » (4)

Nous entendons cela aujourd’hui comme en harmonique avec le passage de la lettre de Paul aux Ephésiens alors que lui-même est aussi emprisonné à cause du Seigneur.

Un désir qui se présente à travers une offrande de soi qui n’est en rien une apologie de la souffrance mais manifeste au contraire la profonde compréhension et acceptation qu’il n’y a pas d’autre chemin de vie que celui de Jésus lui-même. Tout cela pour être, finalement, avec lui dans son Royaume, sa Création restaurée, réconciliée, ré-unifiée. C’est ce que contemplera notre sœur Marguerite-Marie lors de sa dernière vision en 1688 et qui est si bien représentée au fond de notre chapelle : Jesus, au cœur rayonnant de son Amour ardent, se présente à elle non plus seul mais accompagné d’une partie de la cour céleste avec en particulier notre cher Claude, décédé 6 ans auparavant.

Ainsi va le chemin de l’Apôtre depuis Matthieu, et des autres, en passant par Claude, et jusqu’à nous aujourd’hui… Aujourd’hui ils nous font signe, ils relaient l’Appel d’un chemin du Cœur qui part de notre cœur pour aboutir dans le cœur de Celui vers qui tout le mystère de la Création converge, le Cœur de Dieu.

A la lumière de tout ce chemin que nous fait entendre l’Ecriture en ce jour de la saint Matthieu, avec ces inspirantes décorations de notre chapelle La Colombière, à l’occasion de votre propre démarche de pèlerin venu vous re-poser sur le Cœur du Sauveur, la source de toute vie et bénédiction divine, c’est ce que nous vous souhaitons pour vous même mais aussi pour toute la Compagnie dont vous avez la charge de servir, pour une plus grande Gloire de Dieu : un renouvellement profond et fécond pour le bien de l’Eglise et du monde dans lequel le Christ nous envoie.

P Xavier Jahan sj
responsable de la chapelle La Colombière

1 – notes spirituelles de la grande retraite de 1674, n° 6 & 9.

2 – entretien des 19, 23 et 29 août 2013 pour les revues culturelles jésuites européennes.

3 – cf. note sur le père franciscain Wall dans Le bienheureux Claude La Colombière, son milieu et son temps de Georges Guitton sj, édition de 1943, page 448.

4 – Exercices Spirituels n° 147.