Pedro Arrupe
Conclusion de son discours « Enracinés et fondés dans la charité » du 6 février 1981

L’amour, […] entendu dans toute sa profondeur et dans toute son extension (charité et miséricorde), est le résumé de toute la vie de Jésus-Christ et doit l’être aussi de toute la vie du jésuite.

Or, le symbole naturel de l’amour est le coeur ; de là vient que le Coeur du Christ est le symbole naturel représentant et inspirant notre spiritualité aussi bien personnelle qu’institutionnelle, nous conduisant à la source de l’amour humano-divin de Jésus-Christ et à ce que celui-ci a de plus profond.

Aussi en achevant ces pages, je pense dire à la Compagnie quelque chose que je pense ne pas devoir taire.

Depuis mon noviciat, j’ai toujours été convaincu que, dans ce qu’on appelle la « Dévotion au Sacré-Coeur », était renfermée une expression symbolique de ce qui est le plus profond de l’esprit ignatien, et que s’y trouvait une efficacité extra-ordinaire, aussi bien pour la perfection personnelle que pour la fécondité apostolique. Cette conviction est toujours la mienne aujourd’hui. Certains auront pu s’étonner de ce que pendant mon généralat j’ai relativement peu parlé du sujet. Il y avait à cela une raison que nous pourrions dire pastorale. Au cours des dernières décennies, l’expression même de « Sacré Coeur » n’a pas été sans provoquer, en certains lieux, des réactions de caractère passionnel et allergique, peut-être, en partie, parce que l’on réagissait à des formes de présentation et à une terminologie trop en lien avec des époques dépassées. C’est pourquoi, il m’a paru préférable de laisser passer quelque temps, persuadé que cette attitude, plus passionnelle que rationnelle, viendrait à s’apaiser.

Je nourrissais et nourris encore la certitude que la valeur très haute d’une spiritualité si profonde, que les Souverains Pontifes ont dites suprême, qui recourt à un symbole biblique si universel et si humain et à un mot, « coeur », authentique mot-source (Urwort), ne tarderait pas à réapparaitre de nouveau.

C’est pour cette raison que, à mon grand regret, j’ai relativement peu parlé et écrit sur ce sujet, bien que j’en ai fréquemment traité à l’occasion de conversations à titre personnel, et que je regarde cette dévotion comme l’une des sources les plus intimes de ma vie intérieure.

En terminant ce cycle de conférences sur le charisme ignatien, je ne pouvais pas ne pas donner à la Compagnie une explication de ce silence, lequel je l’espère, sera compris. Tout en même temps, je ne pouvais pas taire ma profonde conviction que tous, en tant que Compagnie de Jésus, nous avons à réfléchir et à dis-cerner en présence du Christ crucifié sur ce que cette dévotion a signifié et doit, précisément aujourd’hui, signifier pour la Compagnie !

Dans les circonstances actuelles, le monde nous propose à la fois des défis et des questions auxquels nous ne pouvons pleinement faire face qu’avec la force de cet amour, qui est celui du Coeur du Christ.

Tel est le message que je voulais vous transmettre. Il ne s’agit pas de forcer les choses, ni de rien ordonner en une matière au centre de laquelle est l’amour. Mais je dis pourtant : pensez-y, et parcourez tout ce qui s’offre à vous ! Il serait triste que, ayant dans notre spiritualité, même institutionnelle, un si grand trésor, nous le laissions de côté pour des raisons peu valables.

Si vous vouliez un conseil, après 53 ans de vie dans la Compagnie et presque 16 de généralat, je vous dirais que dans cette dévotion au Coeur du Christ se cache une force immense ; il appartient à chacun de la découvrir – s’il ne l’a pas encore découverte, – de l’approfondir et de l’appliquer à sa vie person-nelle selon ce que le Seigneur lui montre et lui accorde. Il s’agit là d’une grâce admirable que Dieu nous offre.

La Compagnie a besoin de la « dynamis » enfermée dans ce symbole et dans la réalité qu’il nous annonce : l’amour du Coeur du Christ. Peut-être que nous manque une attitude d’humilité ecclésiale pour accepter ce que les Souverains Pontifes, les Congrégations Générales et les Généraux de la Compagnie ont sans cesse répété.

Et, néanmoins, je suis persuadé que peu de preuves pourraient être aussi claires de la rénovation spirituelle de la Compagnie qu’une dévotion vigoureuse et générale au Coeur de Jésus. Notre apostolat y trouverait une nouvelle vigueur et nous ne tarderions pas à en voir les effets, aussi bien dans notre vie personnelle que dans nos activités apostoliques.

N’ayons pas la présomption de nous croire au-dessus d’une dévotion qui s’exprime en un symbole ou une représentation graphique de ce symbole. N’allons pas rejoindre les sages et les prudents de ce monde à qui le Père cache ses réalités mystérieuses, alors qu’il les enseigne à ceux qui sont ou se font petits. Ayons la simplicité de coeur qui est la condition première de toute conversion profonde : « Si vous ne changez et ne devenez comme des petits enfants… » Ce sont là des paroles du Christ que nous pourrions traduire de la manière suivante : « Si vous voulez, personnellement et comme Compagnie, entrer dans les trésors du Royaume et contribuer à sa construction avec une efficacité extraordinaire, rendez-vous semblables aux pauvres que vous désirez servir. Vous répétez si souvent que les pauvres vous ont plus appris que beaucoup de livres : apprenez d’eux cette leçon si simple, reconnaissez mon amour dans mon Coeur ! »

Retrouver le discours intégral : https://arrupe.jesuitgeneral.org/fr